Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t3.djvu/381

Cette page n’a pas encore été corrigée

CRITIAS 369

prenait alors sur l'art dramatique. Les deux tragédies d*où ils proviennent, le Pirithoos et le Sisyphe^ ont été attribuées aussi à Euripide, ce qui montre bien à quel point la plupart des pièces de ce temps se ressemblaient par une tendance à disserter avec hardiesse sur toutes choses. A cet égard, le principal fragment du Sisyphe est parti- culièrement intéressant. Le personnage mis en scène s*y exprime sur l'origine des religions comme aurait pu le faire alors un Diagoras do Mélos ou un Théodore.

« Il fut un temps où les hommes vivaient sans règles, à la façon des bêtes, soumis au règne de la force; il n'y avait point de récompense pour les bons, point de châtiment pour les méchants. Plus tard, sans doute, les hommes firent des lois de punition, afin que la justice eût le souverain pouvoir et qu'elle tînt Tinsolence en esclavage. Dès lors, il fallut payer quand on fit le mal. Mais comme les lois n'empêchaient que la violence ouverte et qu'on faisait le mal en se cachant, alors, je suppose, un homme avisé et habile imagina d'in- venter de quoi effrayer les mortels, afin que les méchants eussent peur, quand ils feraient, ou diraient, ou penseraient quelque chose en secret. Voilà pourquoi il introduisit dans le monde la croyance aux dieux, parlant d'une divinité qui vit éternellement, qui entend et qui voit par l'esprit, qui est attentive à tout, qui a une nature surhumaine, à qui rien n'é- chappe de ce qui se dit parmi les hommes, et qui peut voir tout ce qui s'y fait. Quand même tu serais muet sur le mal que tu médites, les dieux ne l'ignorent pas... Par ces discours, il fit accepter le meilleur des enseignements, enveloppant dans ses mensonges la vérité. Et il disait que les dieux habi- taient là où il pensait que les hommes seraient le plus effrayés de leur séjour, dans cette partie du monde d'où il voyait pro- venir pour les mortels la crainte et aussi ce qui profite à leur misérable existence, dans cette voûte au-dessus de nos têtes, où sont les éclairs, le fracas terrible du tonnerre et les constellations brillantes du ciel, — merveilles qu'a fabriquées le temps, architecte habile, — d'où tombe la masse incandescente des étoiles filantes, d'où descend sur la terre l'abondance des pluies. Telles sont les terreurs qu'il a su dresser autour des hommes, et par là, en s'aidant de la raison, il a installé