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328 CHAPITRE VIL — EURIPIDE

mier moment vous ne les avez pas arrachées des autels pour les égorger, quand vous avez eu pitié d'elles! La loi chez vous, protégeant la vie de l'homme libre, protège aussi celle de Tes- clave. Et le respect qu'on a pour toi, quand même ta parole faiblirait, les persuadera; le même discours, lorsqu'il est tenu par des hommes obscurs et par ceux qu'on a en honneur» sans devenir autre, est faible ou puissant *. »

Nous touchons ici à co qu'il y a de plus délicat chez Eu- ripide. Son mérite, qui est tout à fait supérieur en ce genre, consiste dans la flnesse tout attique avec laquelle il sait fondre des qualités contraires, l'héroïsme et la simplicité familière, la noblesse et Tabandon, la pureté du sentiment et le trouble de l'instinct. Quand il y réus- sit complètement, il fait preuve d'une légèreté do touche qu'aucun poète dramatique n'a jamais égalée. C'est un ravissement que de lui voir créer alors des figures ex- quises, dont le plus grand charme est dans leur sponta* néité même. Son Iphigénie, lorsqu'elle veut embrasser son père, lorsqu'elle l'interroge, n'a presque rien en ap- parence qui la rende propre à la scène; son âme naïve n'est que jeunesse, ignorance, curiosité, affection; et tou- tefois, à quelques mots échappés, nous devinons en elle la fille d' Agamemnon ; elle jouit de la gloire et de la gran- deur de son père; vienne la dure nécessité, elle saura s'y dévouer jusqu'il la mort. Cette grâce supérieure éclate particulièrement dans les rôles où Euripide représente des dévouements héroïques. L'héroïsme qu'il aime ne vient pas de principes arrêtés, il ne résulte pas d*une habitude morale ancienne et profonde qui rend Tâme toujours prête h tout. Il est spontané, inattendu, c*e8t une sorte de caprice généreux, un élan de fierté et de bonté. Par là justement, il ressemble davantage à celui dont la plupart d'entre nous sont capables à un moment donné; et mêmi* il est plus féminin encore que viril, ce

1. Hécube, 276.

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