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bler les sens. En revanche, quand il a rencontré des situations qui comportaient à la fois l'élan passionné du cœur et cette sorte de trouble ou de déchirement qui se fait sentir à l’être tout entier, nul ne l'a surpassé en force pathétique.

A ces dispositions naturelles s’est ajoutée chez Euripide l’influence très forte des habitudes d’esprit contemporaines : le goût des pensées brillantes, des antithèses et des distinctions, des analyses ingénieuses, des discussions subtiles, des argumentations paradoxales. Tout cela était de son temps (4 convenait à ses qualités comme à ses défauts. La séduction d’un aperçu nouveau, celle des réflexions délicates et aussi des tours do force oratoires dans la défense des mauvaises causes était vraiment irrésistible pour lui. Il aimait à se poser des questions pour avoir le plaisir d’y répondre, ou tout simplement pour éveiller la réflexion et la laisser ensuite en suspens. Les choses de la vie qui se font par coutume, par instinct, par tradition, et qui doivent se faire ainsi, devenaient pour lui matière à des interrogations hasardeuses qu’il mettait dans la bouche de ses personnages. Est-il bon de se marier? Est-ce un avantage d’avoir des enfants ? L’amitié doit-elle s’imposer à elle-même une mesure ? Mille problèmes de ce genre, qui n’en sont pas, parce que la nature humaine les a toujours résolus et les résoudra toujours sans se soucier de la réflexion, attiraient néanmoins sa pensée, comme celle d’un grand nombre de ses contemporains. Nul poète plus que lui n’a été associé à tous les excès de curiosité et de raisonnement où se complaisait un siècle qui apprenait à observer et à réfléchir. Dans cette société où les esprits les mieux doués goûtaient le plus vivement le plaisir nouveau d’analyser les idées, comment cette fine et brillante intelligence aurait-elle résisté à une tentation si délicate ?