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SA SENSIBILITÉ 309

pare à celle d'Eschyle ou de Sophocle, elle s'en distingue immédiatement par quelque chose de plus féminin. Le jugement y a peu de part. Comme toutes les natures ins- tinctives, Euripide ne subordonne guère ses sentiments à ses idées. 11 a beau se faire une certaine conception générale d'un personnage, chaque situation particulière le ressaisit ; il se la représente, il la ressent et la traduit en elle-même. Sa Médée est une âme d'une trempe toute virile, capable des résolutions les plus inflexibles, maî- tresse d'elle-même, conduisant ses desseins avec une fermeté d'esprit égale à 1 énergie do sa volonté ; et pour- tant, quand l'instinct maternel se réveille tout à coup dans son cœur, c'est la plus faible des femmes : il y a autre chose dans ses hésitations qu'un simple sentiment, il y a le frémissement de la chair, la voix du sang, une sorte d'horreur physique qui se mêle au trouble moral ; elle pleure en voyant les yeux purs et brillants de ses enfants, en caressant leurs cheveux, en respirant leur haleine. Dans cette façon de sentir, l'impression du moment est presque tout ; et cette impression elle-même tient de la sensation presque autant que du sentiment. Son plus grave inconvénient est de tomber aisément dans la banalité; et Euripide n'y a pas toujours échappé. Comme Aristophane le lui a reproché, il a cru souvent que l'appareil extérieur de la misère ou de la faiblesse méritait la pitié d'un public éclairé, que des rois en hail- lons, des héros mendiants, des vieillards qui se traînent en tremblant, dos enfants qui pleurent offraient un spec- tacle tragique K Son erreur en pareil cas a été de ne pas comprendre qu'au théâtre les hommes réunis veulent des émotions d'une nature plus haute et plus profonde, qu'il faut remuer les âmes et non pas simplement trou-

1. Voj'ez dans les Acharnlens, les moqueries relatives au magasin d'Euripide, dans lequel Dicêopolis est assuré de trouver tout ce qu'il peut désirer pour se rendre intéressant, comme guenilles, bâtons, besaces, etc.

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