devant nous pour s’arrêter comme suspendues devant la défaite inévitable. Aussi grave et religieux qu’Eschyle quant à l’idée fondamentale, Sophocle, dans de tels chants, diffère profondément de lui par une élégante brièveté, par le développement facile de la pensée, par l’absence de mystère et de lointains obscurs, par la douce lumière dont sa poésie est toute pénétrée.
Et ces grandes idées, chez le noble et charmant poète, se mêlent toujours de sentiments délicats et gracieux qui semblent naître à profusion de son heureuse nature. Dans la même pièce, quand le jeune Hémon, prenant la défense de celle qu’il aime, a osé tenir tête à son père, Sophocle prête au chœur confondu une sorte d’hymne à l’amour tout-puissant, à l’amour maître du monde, qu’on croirait fait de charme léger et de faiblesse, mais dont la force est invincible. Ce double caractère du dieu est aussi celui du chant de Sophocle :
« Éros, vainqueur à qui rien ne résiste, — Éros, qui te saisis des plus puissants, — toi qui, sur les joues délicates — d’une vierge, te reposes pendant la nuit, — tu franchis aussi les mers et tu habites les demeures rustiques ; — nul parmi les immortels ne peut t’échapper, — nul parmi les hommes éphémères ; et celui que tu possèdes est en proie au délire.
» C’est toi qui, poussant le juste lui-même à l’injustice, — égares sa volonté pour son mal ; — c’est par toi aussi que la discorde entre ces hommes, — père et fils, s’est élevée en tumulte. Vainqueur éclatant, le désir qui vient du regard caressant — de la jeune fille, partage l’empire du monde — avec les lois souveraines ; car tout cède, quand elle se joue de nous, à la déesse Aphrodita[1]. »
Une sorte de sérénité brillante, une grâce fière et calme, associée à une émotion sincère et à une pensée toujours droite et ferme, voilà bien ce qui caractérise en général le lyrisme de Sophocle. Il n’abuse jamais
- ↑ Antigone, 781.