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ils leur donnent un caractère populaire plutôt que philosophique. Par là même, ils ont moins de grandeur mystérieuse, moins de hauteur théologique que ceux d’Eschyle, mais en revanche ils sont plus simplement humains et par conséquent plus touchants. Exprimant fidèlement le caractère propre de chaque groupe de choreutes et la mobilité de ses émotions, ils changent de nature d’une pièce à l’autre et ils offrent dans une même tragédie une variété vraiment dramatique.

Pour cela d’ailleurs, Sophocle n’a pas besoin d’artifices apparents : c’est par la mesure juste et délicate, marque sûre de la sincérité poétique, qu’il excelle jusque dans l’essor de l’imagination. Alors même que l’action est à peine engagée, quand les sentiments en jeu sont encore incertains, il sait en tirer, sans forcer les choses, des motifs lyriques du plus grand effet. La parodos d’Œdipe roi, une des plus belles de son théâtre, peut être citée ici comme le type de ces morceaux qui vraiment n’appartiennent qu’à lui[1]. Au milieu de la désolation publique, un oracle, apporté de Delphes par Créon, vient de faire naître dans Thèbes ravagée par la peste une lueur d’espoir ; on se reprend à croire au salut possible et on prie avec plus de confiance, tout en gémissant. Voilà ce qu’expriment les vieillards du chœur, lorsqu’ils entrent dans l’orchestra. Le premier couple de strophes accompagne leur marche, et les dipodies dactyliques de leur chant marquent avec une sorte de pompe religieuse leur pas lent et grave. Le langage lyrique, comme le rythme, traduit la solennité de ce moment où Thèbes est dans l’attente, où la puissance secourable des dieux se laisse entrevoir, où le rayon de l’espérance apparaît à travers le nuage sombre sans le déchirer encore :

« Ô parole de Zeus, douce et suave, qui es-tu, voix du sanctuaire d’or, — toi qui viens de Pytho dans la glorieuse cité, — « Ô parole de Zeus, douce et suave, qui es-tu, voix du sanctuaire d’or, — toi qui viens de Pytho dans la glorieuse cité, — dans les murs thébains ? Mon âme se tend vers toi du sein de l’effroi, toute palpitante, — dieu des suppliants, dieu de Délos, dieu qui guéris ! — et, pleine de ta crainte, ma pensée cherche, soit en un temps prochain, — soit au cours des ans à venir, ce que tu feras pour nous en ce nouveau besoin. — Dis-le moi, enfant de l’Espérance aux ailes d’or, verbe divin !

  1. Œdipe roi, 151.