siècles et demi plus tard, la même impression se retrouve dans un jugement de Dion Chrysostome : « Si les chants de Sophocle, dit-il, n’offrent pas, comme ceux d’Euripide, une abondance de pensées pratiques, une exhortation constante à la vertu, ils ont en revanche une suavité enchanteresse qui s’allie à la grandeur (ἡδονὴν θαυμαστὴν καὶ μεγαλοπρέπειαν)[1]. » On ne saurait mieux dire : le lyrisme de Sophocle a en effet autant de grâce que de noblesse, il mêle à la majesté dithyrambique de celui d’Eschyle la finesse ravissante d’un art nouveau et vraiment attique. Un témoignage ancien nous apprend qu’il introduisit le premier dans les chants de la tragédie la mélopée phrygienne[2] : il prêta donc à ses chœurs et à ses personnages des accents plus féminins, il mit dans la mélodie quelque chose de plus délicat et de plus tendre, il sut remuer au fond des cœurs des fibres plus intimes.
Cette nouveauté était d’ailleurs une nécessité. Eschyle développait largement la pensée et les sentiments dans des compositions lyriques encore étendues : il disposait de strophes entières ou même de groupes de strophes pour traduire les phases de chaque situation. Chez Sophocle, au contraire, la partie lyrique est réduite. L’effet qu’Eschyle produisait lentement et qu’il prolongeait à loisir, il doit, lui, l’obtenir en peu de temps et le condenser[3]. Cela l’oblige à donner plus d’importance relative à chaque détail, et de là vient que souvent dans ses chants la strophe se décompose nettement en périodes qui ont chacune leur unité[4]. Son grand mérite est d’avoir su, tout en appliquant ce principe nouveau, se garder de ses in-