dans son théâtre. Dans Ajax par exemple, Agamemnon et Ménélas réalisent assez exactement le type du Spartiate, tel qu’on se le représentait à Athènes, dur, égoïste, impérieux. Créon, dans Antigone, a quelque chose du tyran à l’esprit étroit que la démocratie athénienne imaginait avec un sentiment d’aversion. En revanche, Thésée, dans Œdipe à Colone, peut passer pour l’image vivante qu’Athènes se faisait d’elle-même ; le poète, en le créant ainsi, a été vraiment l’interprète du peuple tout entier. La jeunesse athénienne, en particulier celle des anciennes familles, revit dans le personnage de Néoptolème comme dans celui du jeune Hémon, habile et discret, respectueux envers son père jusqu’au moment où la colère l’emporte ; on la reconnaît même en Oreste, dans plusieurs scènes d’Électre, notamment dans celle du début où nous l’entendons s’entretenir avec son fidèle pédagogue. Ulysse, dans Philoctète, n’est pas non plus, purement et simplement, le héros de l’ancienne épopée. Il y a en lui de l’Athénien élégant et homme du monde, qui sait plaisanter agréablement, même sur les principes de la morale. « De l’audace, dit-il au jeune Néoptolème ; la justice de nos actes éclatera plus tard. Il faut que tu te fasses impudent avec moi pour quelques heures ; ne t’en défends pas. Après cela, pendant tout le reste de ta vie, sois appelé le plus pieux des mortels[1]. » Les femmes mêmes de Sophocle, tout homériques qu’elles sont au fond de l’âme, n’en portent pas moins la marque de leur temps. Appelées par les exigences des sujets légendaires à jouer un rôle actif, elles sentent bien que ce n’est pas l’usage à Athènes, et elles s’en justifient[2]. En outre, la réflexion contemporaine a pénétré en elles : elles ont médité sur leur destinée. « Souvent, disait une d’entre elles dans la
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