de celles que je chéris ? Plein de pitié pour moi, Créon m’a envoyé ces enfants tendrement aimées ? N’est-il pas vrai[1] ? »
Ainsi, jusque dans la souffrance, la force et la clarté de l’esprit apparaissent chez les personnages de Sophocle. À plus forte raison dans l’exposé qu’ils font de leurs idées. Car tous ont de véritables idées dramatiques, c’est-à-dire des motifs réfléchis d’action. Que ce soit l’élan ou la révolte de leur nature qui les excite d’abord, peu importe. Celle impulsion instinctive est immédiatement éclairée chez eux par la raison. Ils éprouvent le besoin de se rendre compte à eux-mêmes de ce qu’ils veulent faire et ils ne sont jamais embarrassés d’en rendre compte aux autres. Il y a donc en eux, quels qu’ils soient, une dialectique naturelle qui tient à leur caractère et qui l’aide à se développer. Bien que passionnés, ils sont pourtant réfléchis. Le sentiment, loin d’obscurcir en eux l’intelligence, l’excite et augmente sa force. Quand on les avertit, il juge ces avertissements ; quand on les blâme, ils sont prêts à se défendre. Leur conduite obéit à des raisons de plus en plus conscientes qu’ils aiment à proclamer.
Ces raisons, dans leur diversité, sont toutes des sentiments érigés en principes. Jamais elles ne se présentent sous forme de thèses générales sujettes à discussion. Aussi leur dialectique, vraiment humaine, ne ressemble-t-elle en rien à celle de l’école. Ils ne visent pas à passer pour habiles ; il suffit au poète qu’ils paraissent sincères. Leurs arguments ne sont en général ni très nombreux, ni particulièrement ingénieux, ni imprévus ; l’art de jouer avec les idées leur est étranger. Ils vont au fait, ils parlent du cœur, ils affirment souvent plus qu’ils ne prouvent, parce qu’ils ont foi en leurs principes et ne comprennent même pas qu’on puisse les mettre en doute. Lorsque Créon demande à Antigone comment elle a osé enfreindre les lois qu’il avait dictées, celle-ci ne discute pas la
- ↑ Œdipe roi, 1451.