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le droit d’y voir au contraire l’exemplaire le plus achevé du procédé dramatique de Sophocle. Dans Philoctète, c’est en vain qu’on chercherait un événement, bien que la situation change sans cesse ; elle change parce qu’elle met en contact des âmes humaines, des volontés contraires, les unes inflexibles, les autres mobiles. Nul drame plus que celui-là n’est fait de rien, si l’on appelle rien ce qui pour Sophocle était tout. Au terme de sa vie, son Œdipe à Colone nous le montre admirablement fidèle jusqu’à la fin à cette haute conception. Sans doute, quand Œdipe est accueilli à Colone, l’arrivée de Créon et ses violences, celle de Polynice et ses prières sont des choses imprévues, qui pouvaient ne pas être et qui ne sortent pas nécessairement de la situation donnée. Faut-il voir là une concession à un art différent ? Non, assurément. Si Sophocle a été obligé d’enrichir quelque peu par le dehors un sujet médiocrement fécond, il s’est appliqué du moins et il a réussi à faire prédominer hautement le développement du caractère principal sur l’élément accidentel du drame. Prédominance si accusée, qu’il faut réfléchir pour s’apercevoir qu’il y a en effet là du hasard. De ce que nous connaissons, nous pouvons conclure à ce que nous ignorons. Si le théâtre de Sophocle subsistait en son entier, nous pourrions y surprendre sans doute des hésitations au début, des progrès, des emprunts avoués ou dissimulés, des influences subies ; mais à coup sûr, rien n’y paraîtrait plus constant ni plus caractéristique que cette façon d’entendre l’action comme le jeu naturel des sentiments et comme la manifestation même des caractères.

De cette conception générale résulte un genre de progression qui lui est propre. Une des choses dont il se préoccupe le plus dans la conduite de ses pièces, c’est de fournir à ses personnages l’occasion d’exposer contradictoirement leurs principes de conduite ; cela répond