Et ce qui est vrai de l’effroi touchant au délire l’est aussi de la passion. Nul poète lyrique n’a su peindre comme Eschyle l’attachement obstiné à une idée et l’exaltation croissante d’une volonté tendue vers son but. Ce que le dialogue ordinaire serait impuissant à traduire, le chant, avec la profondeur d’émotion qui lui est propre, l’interprète pour lui merveilleusement. Qui pourrait oublier, l’ayant seulement lue une fois, cette scène lyrique du début des Choéphores, où, tour à tour, Oreste et Électre avec le chœur gémissent sur le meurtre et appellent la vengeance ? Qu’on se rappelle la monotonie sombre de cette passion fixée à son idée, et, sur ce fond de terreur immobile, cette succession d’images éclatantes et sinistres, ces affirmations de justice, de devoir sanglant, de réclamation élevée par les morts du fond de la tombe, ces regrets déchirants et ces visions de sang, pleines d’une sorte de joie affreuse et pourtant sainte. C’est encore par le même genre de beauté que se recommande l’hymne célèbre des Érinnyes dans les Eumémdes, ce chant « dont l’effroi fait sécher les hommes, » selon la forte expression du poète lui-même : une seule idée, une seule passion, une seule et même terreur, mais prolongées de strophe en strophe avec cette puissance de renouvellement qui est la marque personnelle d’Eschyle.
Dans son étrange éclat, cette poésie lyrique est souvent obscure ; elle l’est comme l’était sans doute la poésie dithyrambique, et pour les mêmes raisons, mais aussi pour d’autres qui lui sont propres. Celles-ci tiennent à la langue et au style d’Eschyle, dont nous avons maintenant à parler brièvement.
VIII
C’est dans les poèmes épiques d’une part, dans les œuvres des lyriques de l’autre, qu’Eschyle a puisé les