LE POÈTE LYRIQUE 215
OÙ le chœur est formé déjeunes flUes, on ne saurait dire que le lyrisme du poète traduise, comme le sujet semblait le demander, l'effet de la souffrance dans des âmes naïves et délicates. Un souffle puissant anime et soulève les larges ondulations de leur chant ; il y a de la force et de la grandeur jusque dans la description qu'elles font de leur faiblesse, et leur accent est celui de la reven- dication ardente plus encore que celui de la plainte. Seules peut-être, les Océanides, quand elles viennent en chantant vers Prométhée^ ont dans la voix quelque chose de cette douceur caressante et de ce frémissement d'é- motion intime qui appellent les larmes :
« Sois sans crainte : c'est en amies que, toutes ensemble, au bruit de ces ailes qui fendent l'air à l'envi, nous sommes venues vers ton rocher, dès que notre père, non sans peine, eut cédé à nos désirs. Portées par les brises rapides, nous voici. Car le bruit dur des marteaux de fer, retentissant jus- qu'au fond de nos grottes, en a chassé brusquement la timidité aux yeux de vierge; et je me suis élancée, pieds nus, sur ce char ailé ! * »
Là même, il y a plus de grâce que d'attendrissement, et cela ne dure qu'un instant. N'insistons pas. En indi- quant ce qui manque au lyrisme d'Eschyle, c'est l'excès d'une qualité que nous signalons. Aussi, quand cet excès même est justiBé par la situation, Eschyle est-il sans rival. Le genre de trouble douloureux que sa poé- sie lyrique exprime le mieux, c'est la souffrance ar- dente et mêlée de terreur, qui est à la fois une obsession et un délire. A de telles peintures conviennent les mou- vements violents, la grandeur et l'obscurité des images, les brusques éclairs, les sursauts du style, en un mot tout ce qui lui est naturel. Aucun autre que lui n'au- rait pu écrire la scène des hallucinations de Cassandre, au seuil du palais d'Agamemnon.
1. Prométhée enchaîné^ v. 130.
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