203 CHAPITRE V. — ESCHYLE
s*il a tort ou raison de tuer sa mèro; mais la sombre exaltation avec laquelle il invoque son père mort, l'in- sistance qu'il met à formuler son terrible devoir et à évo- quer Toraele impérieux qui le pousse au meurtre, voilà ce qui nous fait sentir Thorreur à laquelle il est en proie. De tels personnages ne discutent point les motifs qu'ils ont d'agir : ils ne les discutent ni avec les autres, ni avec eux-mêmes. Ils affirment, ils s'exaltent, ils vont à leur fin à travers tout. Représentants idéalisés d'un âge de croyance et d'énergie, ce sont les plus hautes créa- tions du génie d'Eschyle. Un seul d'entre eux remplit toute une tragédie. Rien de plus fort n'a jamais été mis sur aucune scène.
Mais il peut arriver que le sujet ne comporte pas un premier rôle de ce genre. Atossa dans les Perses^ Danaos dans les Suppliantes n'ont rien de grand ni de terrible à accomplir; l'action leur manque ; il ne leur reste que l'effroi ou la douleur. Par là même, ils ne sauraient être mis sur le même rang que les personnages précédents. D'ailleurs il faut reconnaître que le génie d'Eschyle se prête mal à représenter la faiblesse, du moins par des moyens purement dramatiques. 11 y réussit bien mieux dans les parties lyriques, parce que le lyrisme entre ses mains est infiniment plus souple que le dialogue pro- prement dit. De là vient que, chez lui, les personnages de ce genre se confondent jusqu'à un certain point avec le chœur : Atossa unit ses sentiments à ceux des vieillards perses, Danaos à ceux de ses filles ; ce qui leur est tout à fait propre est peu do chose ; on ferait tort à la con- ception du poète, si on les séparait de la foule qui pense avec eux, qui craint ou qui se lamente avec eux, et qui chante ce qu'ils disent. Oreste, dans les Euménides, tient le milieu entre ces deux sortes de personnages. Il souffre, il est vrai, plus qu'il n'agit : mais il aspire si ardemment à sa délivrance que cette aspiration même
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