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augmenter la pompe théâtrale[1]. Il cherchait à rapprocher le spectacle réel de celui qu’il avait dans l’esprit. La petitesse humaine le gênait dans son rêve grandiose : il essayait de la draper le plus largement possible, pour qu’elle parût moins disproportionnée à sa poésie.

Les données épiques fournissaient au poète tragique les événements principaux de ses drames et par conséquent aussi l’ordre et la liaison de ces événements. Presque toutes les tragédies d’Eschyle, autant que nous pouvons en juger, sont en effet tirées du fond épique, et il ne semble pas qu’il se soit permis en général d’altérer gravement les traditions ni d’y substituer des récits divergents. Mais s’il accepte la légende telle qu’elle est, il ne lui demande guère, pour chaque tragédie, que les choses essentielles. Quant aux circonstances accessoires dont il a besoin pour constituer son drame, c’est lui qui les invente librement. Par cette invention, il se propose surtout de rendre très sensible la conception générale qui le domine. Les péripéties, les coups de théâtre sont inutiles pour un tel dessein. Moins le drame est agité, plus il laisse apercevoir clairement sa pensée intime.

Cette pensée est toujours présente dans la situation initiale, mais il est rare qu’elle y apparaisse clairement. Eschyle aime à saisir les esprits dès le début, à la fois par la force de l’impression présente et par l’incertitude de l’avenir. On sent, dès que ses pièces commencent, que quelque chose de grand ou de terrible va se passer, mais ce quelque chose n’est qu’entrevu plus ou moins confusément dans une sorte de mystère. De là probablement le reproche que l’Euripide des Grenouilles adresse à son glorieux prédécesseur : il le blâme d’être obscur dans ses

  1. Vie anonyme : Καὶ τὴν ὄψιν τῶν θεωμένωον κατέπληξε τῇ λαμπρότητι. Voir tout le passage.