incertain encore de sa forme et de ses contours, mais d’un rythme expressif, créé par le sentiment même et fait de ce qu’il a de plus intime. C’est la voix légère et délicate des Océanides, interrompant la plainte grave de Prométhée ; c’est le refrain terrible des Érinnyes acharnées après le coupable ; c’est la prière de plus en plus troublée des Suppliantes sur le rivage d’Argos ; c’est le duo d’Oreste et d’Électre, invoquant leur père mort, pour le venger. Une fois cette impression fixée, le drame naissant n’est plus simplement un spectacle. Ces images terribles ou touchantes ne sont plus muettes ; la conception tragique a pris une voix, et elle chante dans l’imagination du poète. C’est alors que la pièce s’organise dans toutes ses parties. La musique a sa symétrie et ses contrastes naturels. Ici, un chant plein de tristesse et de gravité préparera l’âme des spectateurs aux événements futurs ; plus loin, un dialogue lyrique associera dans une émotion commune deux personnages entre eux, ou ceux-ci avec le chœur ; ailleurs la catastrophe finale retentira dans une plainte grandiose. L’importance de la partie chantée est trop grande chez Eschyle pour qu’on puisse la considérer comme une sorte de développement ultérieur du drame. Au lieu de suivre le reste, elle le précède et par conséquent elle le crée. Nous sentons que les grands morceaux lyriques sont ceux qui ont dû se dégager les premiers dans son imagination, parce que c’est en eux que l’idée créatrice nous apparaît avec le plus d’éclat et de profondeur.
Ainsi, la tragédie pour Eschyle, c’est en définitive un grand spectacle révélant une grande idée à l’aide d’un développement lyrique qui doit exalter les esprits et qui est expliqué lui-même ou renforcé par des récits ou des dialogues. Quelle qu’ait été la mise en scène réelle de ses pièces, celle qu’il imagine et qu’il évoque est magnifique. On a vu plus haut et on sait d’ailleurs ce qu’il fit pour