122 CHAPITRE IV. — LA TRAGÉDIE ET SES LOIS
qui attestent un art consommé, — V Œdipe à Colone, par exemple, où il n'y a point de péripétie proprement dite, ni par conséquent de nœud, ni de dénouement. Toutes ces appellations ont quelque chose de compliqué, qui ne convient pas à Tadmirable simplicité d'une telle pièce. Et pourtant, il y a là une action qui progresse, cela est in- contestable. Mais ce progrès se fait sans effort, sans com- binaison apparente, sans liaison laborieuse des épisodes. Il se fait par le développpement tranquille et merveil- leusement sûr du caractère principal, par une succession naturelle d'événements qui touchent au cœur le vieil Œdipe et qui de plus en plus nous attachent à lui, par Taccomplissement d'une volonté ferme qui s'appuie sur une révélation divine. Nulle précipitation, nul souci ap- parent d'une théorie dramatique quelconque. Un tel drame a quelque chose d'épique qu'il doit justement à cette su- prèn\e aisance d'allure. Or cette aisance, cette liberté gra- cieuse dans la progression, c'est ce que la théorie trop dog- matique d'Aristote risquerait de nous faire méconnaître, si nous ne l'interprétions avec un esprit vraiment anti- que; et c'est pourtant ce que nous retrouvons sans cesse, non seulement chez Eschyle, mais chez Sophocle, mais chez Euripide lui-même. Dans leurs pièces les plus com- pliquées et les plus savamment combinées, chaque événe- ment qui surgit n'a point nécessairement un rapport plus immédiat avec la catastrophe que l'événement qui pré- cède. Encore une fois, l'action progresse, mais il n'est pas nécessaire à leurs yeux que la progression se fasse par l'action.
Ceci regarde l'ensemble du drame. Quant à la concep- tion grecque du dénouement, elle n'est pas moins parti- culière. Il faut remarquer, pour la bien comprendre, que les tragédies primitives n'étaient en quelque sorte que de longs dénouements. La catastrophe étant énoncée dès le début et constituant par elle-même le sujet tragique, il
�� �