Page:Croiset - Histoire de la littérature grecque, t1.djvu/35

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
XXI
PRÉFACE

vement ou tout ensemble, artiste par-dessus toutes choses, prompt à se prêter sans se donner jamais. Chateaubriand se prend de passion pour Ossian et pour Milton ; il célèbre avec un enthousiasme communicatif les beautés de l’art chrétien, et l’art le mène aux confins de la foi ; il trace de l’invasion barbare des tableaux inoubliables ; il décrit et chante les sauvages de l’Amérique et les forêts vierges ; il vit sous la tente ; il traverse les déserts à cheval ; il éprouve les sensations des âges primitifs. Voyageur en Italie, en Grèce, en Orient, il puise à la source et retrouve dans sa pureté toute vive et toute fraîche le sentiment de la poésie biblique et de la plus lointaine antiquité classique. Il se dédouble ; il sort de lui-même, de son temps et de son pays pour devenir un contemporain d’Abraham ou d’Homère, et il se regarde vivre. Son imagination n’est pas seulement grande, elle est vive et forte : il a le trait pittoresque, le mot aigu, la touche hardie et décisive. Par tous ces caractères, il est le premier en date des « Enfants du siècle », le maître et l’initiateur de tous les autres.

N’oublions pas, à côté de lui, Madame de Staël, bien moins artiste, bien moins sensible aussi aux mérites des littératures du midi, romantique plus que classique et juge souvent récusable des choses grecques, mais intelligence ouverte, instruite des choses du dehors, naturellement libre, rendue plus philosophe encore par la facilité de comparer, et en somme très moderne[1].

  1. Benjamin Constant, malgré son peu d’action sur la marche