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digne, en transparence, des poissons dentelés. Les crabes, oui, les crabes eux-mêmes ont des ailes.

Un peintre a ouvert les poings et, d’entre les lumières de ses doigts d’incroyables volières se sont échappées qui peuplent, maintenant, les toiles dociles, pour leur bonheur, à cette magie.

Et c’est pourquoi, pas une ligne, si ténue soit-elle, qui n’ait sa qualité frissonnante.

Les traits d’ongles qui écorchèrent, au gré d’un caprice cyclopéen, roches et galets, tous les graffiti de l’au-delà, les créatures d’hypnose et les fleurs d’ectoplasme ont été dessinées, photographiées, sans ruse d’éclairage, sans frauduleux romantisme, ni mensonge grandiloquent d’expression.

Et voilà bien la plus intime et aussi la plus exacte surréalité.

Un pinceau devenu aimant, le labyrinthe du rêve, soudain magnétisé, se déroule en longs anneaux.

Combien timide la légende qui faisait obéir à la voix d’Orphée les bêtes féroces, car, maintenant, plantes et pierres s’émeuvent, ne savent plus demeurer immobiles.

Monde en marche, univers de brindilles palpitantes, fourmilières libérées de toute police, de toute contrainte, parce que les yeux des squales en ont contemplé la naissance, un rythme souverain, hors des cadres, hors du temps, de l’espace, précipite les trois règnes de cette création.

Alors, écoutez-moi, baleines et vous aussi tous autres mégalomanes, écoutez-moi et rappelez-vous, ces animaux fabuleux qui se fussent volontiers nourris de ressorts à boudins pour croître encore en long et en large, ces monstres préhistoriques, niais à ne savoir que faire de leur peau, n’ont, et c’est toute justice, laissé sur notre globe que le souvenir de leur squelette.