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crinoline carillonne. Agénor croit qu’il a épousé une sonnette. Sa qualité de mari, grâce au Ciel, lui donne droit de vérifier ses soupçons, même les plus invraisemblables. Sa main vise les jambes d’Athénais sous la robe. Mais la mariée minaude, veut s’échapper. Il la poursuit, l’attrape par sa jupe, déchire ses cerceaux. Dans un grand fracas Athénais s’effondre. Horreur et damnation. Agénor s’explique le carillon, sa gêne, sa peur. Athénais n’a qu’une jambe, une seule jambe pendante au milieu du corps.

Le jeune époux saura-t-il jamais se consoler ? Déjà les chevaux sont sellés. Départ dans la poussière… Les habitants de ce petit village croient qu’ils ne sauront jamais pourquoi, depuis plus de cinquante ans qu’elle est venue échouer parmi eux, Athénais s’obstine à porter des crinolines, jusqu’au jour où, quasi centenaire, après le passage d’une troupe de saltimbanques où se montrait une femme unijambiste, oublieuse de son habituelle réserve, elle pirouetta sur un pont et se fit d’un coup de reins choir dans la rivière.

Éberlués les paysans laissèrent flotter la noble dame dont les jupes s’épanouirent sur un beau tintamarre.

Les yeux hagards, dans un bruit sans cesse amplifié, elle descendit jusqu’à la mer, au Havre heurta un voilier de bois précieux qu’elle fit chavirer et s’en vint échouer au pays des banquises où, dit-on, elle fut béatifiée par un archevêque nain et lapon.

The As Stable Pamphlets, 1916