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recommence une fois encore l’histoire de l’enfant prodigue.

Mais d’un enfant prodigue qui ne reviendra jamais, condamné à partir sans arriver nulle part, à vieillir dans une misère de Juif errant, et las de ne pouvoir atteindre ce fil de soleil qui jadis, entre ciel et terre, semblait au premier matin le but d’une marche facile. Et pour accompagner ses pas, les mêmes pensées répétées jusqu’au dégoût. À chaque ruisseau l’eau claire tente le vagabond, mais cette eau, elle a toujours le même goût. Celui de sa bouche, de ses déceptions. S’il marche vite c’est pour mieux perdre son âme. Mais les buissons auxquels il tente de l’accrocher ne veulent pas de la loque. Dans les villes, enfant, je l’ai vu qui se détournait des glaces dont s’ornaient mes plus chères boulangeries. Et il ne s’arrêtait jamais. Sans doute lui semblait-il que s’il restait en place l’effroi originel fondrait sur lui pour dépecer l’oiseau précaire et tendre dont, semblable à tout