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RÉPONSE


Une solution ?… oui.

La mosaïque des simulacres ne tient pas. J’entends que l’ensemble des combinaisons sociales ne saurait prévaloir contre l’angoisse dont est pétrie notre chair même. Aucun effort ne s’opposera jamais victorieusement à cette poussée profonde, à cet élan mystérieux, qui n’est point, M. Bergson, l’élan vital, mais son merveilleux contraire, l’élan mortel.

D’un suicide auquel il me fut donné d’assister, et dont l’auteur-acteur était l’être, alors, le plus cher et le plus secourable à mon cœur, de ce suicide, qui — pour ma formation ou ma déformation — fit plus que tout essai postérieur d’amour ou de haine, dès la fin de mon enfance j’ai senti que l’homme qui facilite sa mort est l’instrument docile et raisonnable d’une force majuscule (appelez-la Dieu ou Nature) qui, nous ayant mis au sein des médiocrités terrestres, emporte dans sa trajectoire, plus loin que ce globe d’attente, les seuls courageux.

On se suicide, dit-on, par amour, par peur, par vérole. Ce n’est pas vrai. Tout le monde aime ou croit aimer, tout le monde a peur, tout le monde est plus ou moins syphilitique.

Le suicide est un moyen de sélection. Se suicident ceux-là qui n’ont point la quasi-universelle lâcheté de lutter contre certaine sensation d’âme si intense qu’il le faut bien prendre, jusqu’à nouvel ordre, pour une sensation de vérité. Seule cette