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NOTES EN MARGE DU JEU DE LA VÉRITÉ


Au jeu surréaliste de la vérité, alors que, de part et d’autre, le manque de retenue est la règle que nulle ombre d’exception ne saurait venir confirmer, l’interrogé mettra d’autant moins de réticence à répondre que l’interrogateur aura visé, avec une plus minutieuse et lucide cruauté, le point entre tous sensible, parmi l’enchevêtrement des rapports physiques et des faits concrets aptes à surprendre, sinon à choquer l’auditoire. Les premières confidences serviront de tenailles pour taillader les fils de fer barbelés de l’inhibition. Dans la Jungle de lui-même, l’explorateur se rit des pièges à loups dissimulés derrière les broussailles intimes. D’un saut, il franchit le fossé entre ce qui a été et ce qui, selon ses rêves, eût dû être. Il y a excès plutôt que défaut de franchise. Tant mieux, car la soi-disant juste mesure n’aurait été qu’une fausse mesure. Seuls, les remous de l’inamouvable, le métal en fusion des fantaisies tropicales pouvaient fertiliser les platitudes exactes et les cailloux de l’apparence. Il faut qu’il y ait tremblement de terre et d’heures. Il ne suffit donc pas de chronométrer, d’arpenter l’anecdote. Dire la vérité, c’est non seulement rendre compte des actes qui ont trouvé leurs dimensions à la fois précises et mouvantes dans le temps et l’espace, mais c’est aussi, c’est surtout laisser deviner quels seraient les fruits vitaux du désir enfin rendu au soleil d’une liberté objective et s’y riant des scrofules, des hontes, des peurs, des déviations subjectives, à quoi toujours condamne la nécessité aveugle tant qu’elle n’est pas connue.