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Il n’y a que deux genres, le poème et le pamphlet, constate Monsieur Aa. Inspiration, colère. Tels sont ses mots d’ordre ou plutôt de désordre purificateur. L’antiphilosophe est un torrent qui va faire honte de leur platitude à toutes les mares. Les phrases sautent, tombent, dansent en cascades. La lumière piaffe sans prendre le temps de se poser sur aucun objet. Deux miroirs en face l’un de l’autre, qui s’envoient des rayons que rien n’intercepte, telle est comme le remarquait alors Picabia, la seule métaphore réelle dont on dispose pour l’infini. Mais, répond Tzara, lorsque l’homme eut fini d’étaler en lui l’obsession d’infini, il recommença le cycle déraisonnable des faillites perpétuelles.

Oui, après le tourbillonnement des atomes en flammes, des flammes d’atome, après tous ces soleils réfléchis les uns dans les autres, tombe une nuit plus forte que la jeunesse du monde et son impatience. Minuits pour géants. Voilà le second temps de l’Antitête. Avant que la nuit ne tombe… j’ai songé à t’appeler, dégoût… mais Tzara ne va pas laisser s’arrêter, se figer sa pensée au point le plus tragique de son mouvement. Et, du reste, la sérénité du volcan ne se juge pas. Le desespéranto final va, de sa lave, rallumer l’univers. Rêve, réalité se trouvent entraînés, mêlés, fondus. Le mouvement brasse les objets, les êtres, et ne les décompose que pour les recomposer, au gré de lois bouleversantes et imprévisibles. À la moindre brindille, c’est la surprise d’un merveilleux familier.

Ainsi, de la naissance de Dada, au point actuel du surréalisme, nous pouvons suivre une courbe qui, du plus secret au plus extérieur, de l’inconscient au conscient, à travers les choses, les idées et les sentiments, va son crépitant chemin qui est celui de la poésie, de la connaissance.


1932