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En hommage à un autre décrocheur d’étoiles, Léon-Paul Fargue, vous avez eu raison. Mais, puisque la maison où habitent les poissons s’appelle aquarium, celle où vos toiles s’ouvrent, en fenêtres, sur un miracle subtil mais indéniable, cette maison-là, je la baptiserai : Cielarium.

Avant même la merveilleuse histoire naturelle de Max Ernst, grâce à vous, déjà, une flore et une faune surréalistes nous vengeaient des gazelles aux yeux trop bien peints, des hortensias hydrocéphales et autres littératures de nos jardins caducs. Avec trois grains de sable, vous avez prouvé que les gratte-ciel de New York, les Galeries Lafayette de Paris, la mégalomanie noctambule de Berlin, les enseignes lumineuses de Londres ne sont rien pour les yeux de l’esprit, rien pour les oreilles de l’imagination.

Paul Klee, ici, aujourd’hui, c’est Berlin, le 14 février 1928. J’habite près du Zoo. Il neige, il fait froid. Pourtant, je n’irai pas à l’aquarium, où, l’hiver, si doucement consolant, est la fétide chaleur à la gloire des tortues géantes et des poissons tropicaux. Je pense à votre Cielarium. Alors, je n’ai qu’à fermer les yeux, comme au temps de l’enfance, vous vous rappelez, lorsqu’on découvre que le noir c’est un mensonge, car, sous les paupières hermétiquement closes, mille astres minuscules, et cependant plus grands que le Soleil, s’allument.

Je m’attendris. Pourquoi pas ? Je pense à la touchante fraternité des poètes, à votre délicate et puissante magie, Paul Klee, aux poèmes blanc sur blanc, de Paul Éluard et surtout à ce vers de Saint-Léger Léger :

« Et le Soleil n’est pas nommé, mais sa puissance est parmi nous. »

Merci, Paul Klee.


1928