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mort, car, en vérité, si tant de moines vécurent vieux, aimant et désirant la mort, les jouisseurs des villes intelligentes se tuent jeunes, aimant et désirant la vie. N’est-ce pas Pétrone ? En effet, l’amour qui se veut justifier ou se trouve dans l’obligation de se vouloir justifier, critiquera ce dont justement il est né.

C’est de cette critique que sort l’activité dont l’ensemble est égal à la somme de ce que nous appelons suicides provisoires.

Mais, puis-je imaginer qu’à la suite de ces suicides provisoires, un geste définitif me permettra d’achever à jamais une vie que j’aime lorsque je la crois précaire et que j’exècre dès qu’elle me semble la simple projection terrestre d’un moment de marche éternelle ? L’intelligence pousse au suicide. Mais j’ai parlé de certaine sensation d’âme. Cette certaine sensation d’âme, qui n’est ni la peur ni la joie, me force à poursuivre ce que j’ai entrepris.

Au reste, la hantise du suicide n’est-elle pas le meilleur remède contre le suicide ?


1925