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ceux dont on constate qu’ils s’étourdissent ou se tuent de travail me paraissent des faibles, car le travail, l’activité humaine sont des stupéfiants qui n’ont même point, pour séduire, telle ou telle petite note pittoresque (bien discutable quant à sa qualité, d’ailleurs) mais qu’il est impossible de n’accorder point à d’autres stupéfiants. La plupart des hommes qui marchent et respirent ne méritent guère, dans notre civilisation occidentale, l’éloge d’hommes vivants puisqu’ils ne marchent et respirent que pour éviter la compagnie de ces problèmes qui, au reste, finiront toujours par venir les reprendre au jour de leur agonie. Il me faut donc déjà conclure : le mouvement est simulacre ; il est une forme du suicide, le suicide des lâches, puisque, laissant des possibilités pour l’avenir, il calme à la fois la peur de l’au-delà et l’ennui de vivre. Mais les calculs sont toujours faux. Le mensonge de l’activité spontanément se dénonce.

Oiseaux du mystère, oiseaux qui chantez au plus silencieux de moi-même, pour vous avoir entendus après le départ des autres hommes, je sais que, seule, la solitude permet quelque espoir de vérité. Certaine sensation d’âme trop bien enracinée pour que j’en puisse triompher, me force à confondre vie et vérité. Si la mort existe (la mort que les esprits forts ont, de tout temps assimilée au néant), elle m’apparaît illogique. Certaine forme d’activité me semblant dénuée de raison valable, nul ne s’étonnera donc de me la voir, je le répète, considérer comme une forme de la mort. L’agitation emprisonne le corps, l’intelligence. Qu’on parle de filet ou de murs, le corps et l’intelligence sont emprisonnés, voilà le fait. Volière tyrannique, sous leurs ailes, dans la captivité de plomb devenues, meurent nos oiseaux de mystère. Mais vienne la nuit. Le grillage des simulacres ne résiste plus. Vague comme un ciel et comme un ciel indéniable, une certitude secrète spontanément domine les constructions de nos jours. La moindre secousse est tremblement de terre.