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femmes qui ne pourront jamais être que les reflets de tel ou tel. D’abord elle se contenta de copier son père ; après sa mort elle voulut trouver un modèle nouveau. Boldiroff lui enseigna donc l’art de faire l’amour ; elle a profité de ses leçons et joue avec son bras comme le cygne avec son col, sait faire glisser le corsage plus bas que l’épaule.

« Romantisme des femmes qui s’essaient à devenir jolies.

« Premier acte : madame a les cheveux tirés, un chignon ridicule. Monsieur porte des chemises de soie.

« Second acte : madame s’est passé les cheveux au henné ; jolies mœurs, elle porte la même chemise de soie que son mari.

« Troisième acte : on confondrait monsieur avec madame.

« L’admirable pièce à thèse. Hélas ! ces divertissements ne sont plus de mode. »

Enfin elle se tut et me regarda droit dans les yeux.

Je compris que c’était à moi de faire maintenant ma petite tirade.

Je commençai : « De vous deux, Cyrilla n’est certes point la plus ridicule. Vous parlez comme Démosthène. Je ne vous le reprocherai tout de même point, puisque je vous ai écoutée. Je vous ferai simplement remarquer que si Mme Boldiroff a pris certains gestes à Boldiroff, vous n’avez guère plus de persévérance en votre personnalité puisqu’il vous a suffi de flirter avec un Suédois pour vous décolorer jusqu’à ce que votre peau se trouve plus foncée que vos cheveux. Et certes s’il y a quelque étrangeté en cela, j’y vois une certaine cocasserie, grâce à quoi des gosses vous poursuivront un jour dans la rue et, non sans raison, vous crieront à la chienlit. »