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accusé Cyrilla d’être pédante. Que signifiaient les reproches faits à Mme Boldiroff par la poétesse alors qu’elle-même se mettait en état de les mériter ? J’imaginai que Léila devait être éprise de Cyrille. Sans doute croyait-elle que c’était surtout par respect d’une certaine perfection d’âme et d’intelligence qu’il aimait sa femme, or le jeu était d’insinuer que d’esprit, elle était, elle Léila, bien supérieure et capable de le prouver par sa vision des êtres qu’elle jugeait surprenante.

Cyrille écoutait dans un recueillement quasi religieux, interrompu des seuls mots d’éloge, et Léila ne se laissait point arrêter par le succès.

Pour l’ordinaire, elle consentait à l’aveu de son orgueil et de cet orgueil se faisait même une parure ; elle aimait à répéter que les femmes de l’Orient sont demeurées trop longtemps des esclaves pour n’avoir point à prendre une revanche ; ainsi exigeait-elle sans cesse de nouvelles victoires, chaque compliment lui donnait le désir d’un autre. Si quelqu’un la félicitait d’une toilette nouvelle par exemple, elle se dépêchait de choisir des souliers de meilleur style et de matière plus délicate. Elle ne voulut donc point terminer sans une péroraison et sa voix ne permit aucun fléchissement à un ton qui était oratoire.

Cyrille avait le goût des prosopopées, des grandes affiches, des proclamations au peuple : en 1918, traversant Pétrograd, ce qui l’avait surtout frappé de la révolution russe était un panneau couvrant une façade entière et sur lequel se trouvaient, de la main même de l’auteur, écrits les trente vers d’un poème. S’il avait aimé ces bouts