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discussion continua mais sur un ton plus calme. Cyrilla voulait mettre tout le monde d’accord. « Avouez, Léila, que tous les Russes ne sont pas les incorrigibles bavards que vous dites ; mais nous nous faisons des autres hommes la même idée que le bestiaire moyenâgeux des éléphants, qu’il croyait sans jointure ; vis-à-vis de ceux qui ne sont pas nos compatriotes, nous sommes semblables aux enfants qui jugent tous les nègres d’une couleur identique et ne différencient point leurs traits. »

Léila voulut bien avouer que de l’Inde elle avait imaginé les Français un peuple uniformément frisé, aimant les gâteaux à la crème, les fruits confits, les femmes aux pieds trop étroits, la mauvaise musique et les mauvais poètes.

« Eh bien ! ce peuple vous réservait tout de même une bonne surprise. Vous y avez rencontré notre ami Daniel que vous traitiez tout à l’heure de demi-fou.

— Oh ! Daniel est un demi-fou, mais il n’a pas le mérite de son originalité. »

En manière d’argument elle crut bon d’étaler tout ce que je lui avais dit de la mort de mon père. De celles qui sont assez habiles pour trouver toujours un alibi, se rendant compte de la peine qu’elle ne pouvait manquer de me causer, elle allégua mon intelligence, un intérêt de curiosité objective et d’un trait raconta quel scandale avait contraint le général à la démission, poussé ma mère au suicide et fait de moi l’homme que j’étais.

Cyrilla m’avouait une pitié toute simple. Quant à Cyrille, intéressé de mes malheurs, il félicitait Léila de les raconter si bien, croyait la comparer à Dieu en affirmant : « Je vois cet homme, cette femme, ce garçon ; ils vivent,