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pour amusements de gribouilles les prévisions, essais, recherches et déductions psychologiques. Je me refuse à donner le nom de problème au salmigondis des âmes. Que puis-je imaginer de votre destinée ; vous avez beau vous appeler Cyrilla et votre mari Cyrille, un jour sans doute, il vous plaira de choisir un nouvel amour ; alors comment prévoir ce qu’il sera donné de sortir du galimatias qui porte votre nom, le nom que vous avez cru prendre pour toujours et en toute liberté ! Tout cela, madame... »

Ici Mme Boldiroff me coupa la parole, mais au lieu de m’en vouloir du mot galimatias, dans un sourire avec cette inconstance qui fait pardonner cinq minutes de gravité aux jolies femmes, comme aux oiseaux des îles une plume grise parmi d’autres jaunes, rouges, bleues, vertes :

« Appelez-moi donc Cyrilla. Je n’aime point qu’on me dise “madame”.

— Je pense donc, Cyrilla, que les femmes sont les rivières où nos visages aiment à se pencher ; leur fraîcheur très proche et nous parvenons à mieux nous voir ; nos doigts cherchent des jeux capables de tous les reflets, nos bouches des mots pour flatter le bonheur, il s’agit d’apprivoiser les poissons secrets ; mais en vérité c’est pour ne pas avoir à douter de notre adresse que nous parlons de l’inutilité du geste ; par suffisance nous disons qu’a priori nous n’y pouvons rien, qu’il est des rivières plus ou moins riches, des poissons plus ou moins argentés ; les maladroits ferment les mains trop tôt ou trop tard et les curieux, pour la joie de sentir les terreurs perler à toutes écailles, apprennent à tuer. »

Je m’étais juré de confondre Cyrilla ; or ce fut elle qui