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avouer, n’allez pas me croire une femme sans pudeur. À vrai dire il m’était bien facile de me montrer en pleine franchise ; je vous connaissais trop peu pour n’avoir point en vous une confiance anonyme. Si au lieu de vous écrire, je vous avais vu et parlé en tête à tête, je ne vous aurais rien avoué, mais prenant les mots pour les traits d’un dessin, je ne pensais plus qu’à vos yeux leur ensemble pût avoir un aspect de confidence. »

Cyrilla rougissait en parlant ; elle cherchait un sourire pour se dérober avec plus d’aisance derrière une longue phrase, comme si cette phrase allait en vérité devenir éventail aux larges plumes qui la cacherait toute. Quant à moi, je me rappelais que sur dix lettres, deux au moins, révèle la statistique, ne portent aucun nom. Sans doute leurs auteurs se sont-ils rendu compte à temps que pour leur tranquillité mieux valait qu’on ne s’intéressât point à leurs petites histoires. Or il était facile de deviner que Cyrilla Boldiroff souhaitait le mutuel oubli d’une page écrite alors qu’elle s’espérait libre à jamais des habituels simulacres ; par hasard, elle avait mis un nom, le mien, sur une enveloppe qui contenait l’aveu de sa joie ; pouvais-je manquer de galanterie au point de lui rappeler un bonheur dont il était si naturel et dont je souhaitais même qu’elle eût la pudeur. Cependant moi, qui l’avais jusque là trouvée fort indiscrète, je lui en voulais de ne pouvoir découvrir dans son mot de Zurich une intention dont j’eusse été le bénéficiaire ; mais je ne me rappelais déjà plus les phrases que j’avais soigneusement préparées avant de me rendre chez elle. « Ne m’en veuillez pas, reprit-elle, de vous recevoir dans ce taudis au milieu des malles.