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Le lendemain, la bonne de mon père venait m’apprendre que Monsieur avait été victime d’un accident.

On l’avait trouvé dans sa cuisine, la figure peinte en bleu, une casserole sur le fourneau qu’il avait oublié d’allumer.

Je n’avais pas revêtu mes habits de deuil et j’éprouvais déjà le besoin de crier pardon au ciel, à la terre, aux objets familiers.

Personne à vrai dire ne pouvait m’accuser et ma tentation de larmes était d’autant plus déraisonnable que le général ne s’était jamais montré un père bien excellent.

À force de chercher à connaître le travail souterrain de ma pensée, mes sentiments et leurs raisons secrètes, dans un désir d’aller plus loin que la conscience, je prenais la responsabilité de ce qui s’était fait hors du contrôle de ma volonté. Je croyais avoir découvert une intention que je n’avais pu spontanément préciser. Si j’avais choisi dans les faits divers la rubrique « suicides », ce n’était pas simple hasard. Révolté contre mon père, ayant pour lui, non cette indifférence que j’essayais de feindre, mais une haine que je n’osais proclamer, j’avais, sans me le dire clairement, mais par la faute de ce que je pensais au fond, bien au fond, c’est-à-dire par ma faute, résolu de lire telle rubrique.

Mon choix s’était fait en dehors de toute conscience, mais comme les parents sont responsables de leurs enfants mineurs, au souvenir de la vieille morale, j’avais, me semblait-il, l’obligation de payer pour mon ombre inconsciente.

J'essayais bien encore de me dire que ce n'était pas ma faute si le monsieur des chiens crevés, pour allonger sa