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DÉTOURS


PRELUDES

Ma mère était de celles qui gardent la tradition des housses sur les fauteuils et de l’ennui, méprisent les jolies femmes et les hommes gais, détestent les bijoux, les oiseaux de paradis et les dentelles.

Brune et sans grâce, elle incarnait, dans le genre maigre, la bourgeoise dite de tête. Elle m’aimait beaucoup, voulut faire de moi un homme rangé comme une armoire à glace, m’apprit l’arithmétique, les principes de la civilité puérile et honnête, le catéchisme. « Deux fois deux quatre – on ne met pas ses coudes sur la table – Dieu est un pur esprit créateur du ciel et de la terre. – On embrasse sa mère le soir avant de se coucher. » Même la tendresse lui semblait réglementaire et moi, je préférais aux siennes les joues de la femme de chambre qui avait la peau douce et se parfumait à l’œillet.

Mon père était dans l’armée. Ses amis disaient de lui : « Quel vieux rigolo ! » Moi, je lui en voulais de ne pas faire plus grand cas de ma petite personne.