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Dans la boîte du wagon je me trouvai tout dépaysé. Cyrilla semblait grave ; aux miennes tristement se confièrent ses mains. Je prévoyais ce qu’elle allait dire mais tout à coup je me demandais si d’écouter à nouveau les phrases dont elle usait à l’ordinaire pour exprimer sa méfiance de l’amour, je n’allais pas être dupe d’une simple comédie. Elle était une jeune femme. Pourquoi donc vouloir éviter ce qui eût été si naturel entre nous, et même n’étais-je pas le seul à lutter puisqu’elle serrait très fort mon bras, par exemple, alors qu’elle jurait ne vouloir qu’intimité spirituelle ?

Je m’écartai, fermai les yeux pour ne plus croire en sa présence. Tant que les absents ne m’ont pas assuré un retour indéniable, je considère l’éloignement où ils sont comme éternel. Mis en franchise par la momentanée certitude que j’avais de ne plus la revoir, je voulus parler, dire tout avec franchise. Les yeux rouverts, nous nous serions entendus pour un mutuel oubli ; je me serais trouvé prêt, à nouveau, aux simulacres de cette amitié mixte si tel avait été son bon plaisir. Les trois mots que je ne pouvais plus ne pas dire étaient les trois plus simples et à la Cyrilla que je voulais absente pour être audacieux enfin, j’avouai : « Je t’aime. »

Mes lèvres touchaient ses lèvres et déjà mes paupières s’entrouvraient.

Ma tranquille amie était un sphinx grisé de quelque impondérable encens. J’aimai son visage. Lentement, très lentement, je quittai sa bouche ; mais elle levée, toute droite, avec un rire que je ne comprenais pas : « Daniel, Daniel, je vous en prie, laissez-moi seule. »