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L’eau serait-elle encore vivante si quelque musique ne la berçait ? à Montreux, les corps nus au soleil ont la perfection de la simple beauté. Dans une île que couvre toute un minuscule pavillon, une femme qui fut trop belle ne daigne se rappeler que certains rythmes tziganes. Les dialectes du monde entier n’offrent que des mots brûlants. C’est une passion rauque qui console les belles Slaves. Entre Ouchy et Saint-Gingolph, les sept filles d’un pasteur trouvent chacune un mari ; la nièce d’un ambassadeur japonais, assez européenne pour vouloir porter encore le costume nippon, respire ses paumes et, sans qu’elle l’écoute, son flirt irlandais lui décrit les scènes tragiques de Dublin. Une Roumaine prend en pitié l’Italien qui menaçait une heure auparavant de se jeter à l’eau. Elle lui permet de répéter : « Io t’aime » et montre les funiculaires violets dont l’un pour une première nuit d’amour les emportera ce soir au sommet de la montagne, dans le silence.

Avec Cyrilla nous sommes étendus sur de grands fauteuils dits transatlantiques. Les roues du bateau, sur les côtés, jouent avec une eau que nous savons très fraîche ; les mots des autres, les reflets des nuages, les sourires de certains yeux, effleurent notre paresse. Le soleil gagne nos pieds, monte à l’assaut de nos corps. Nous n’avons pas la force de nous défendre ; une lassitude a pour s’enrouler mieux autour de nous la subtilité d’un foulard.

En juillet, les bords du lac devenus trop chauds, ce fut le départ pour Zermatt.