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J’avais entrepris un travail sur Amiel.

Certaines recherches exigeaient un séjour à Lausanne.

Je demandai de m’accompagner à Cyrilla. Je savais quelle peine elle aurait de revivre un peu dans un pays où elle avait voyagé en compagnie de Boldiroff ; mais j’avais voulu lui demander ce sacrifice pour chercher dans son courage à triompher d’elle-même une preuve de notre amitié.

à Lausanne je ne songeai plus à lui imposer une véritable épreuve ; afin de ne point la laisser seule je ne tardai guère à délaisser les bibliothèques.

Juin carillonnait en plein ciel. Je ne me demandais pas ce qu’il pouvait advenir de Cyrilla, de moi, du lien fragile qui nous unissait. Autrefois, c’était par tristesse que j’avais été paresseux ; or comme tout me semblait joie, soudain je trouvais puériles mes recherches, l’histoire, la philosophie. Je maudis Amiel et abandonnai mes préoccupations universitaires.

J’étais heureux mais n’aurais su dire si je me déployais ou m’anéantissait, ne me rendant point compte si le bonheur me faisait égal à Dieu ou à zéro. En face de Cyrilla j’oubliais tout. J’aurais voulu que mon existence pût lui être offerte un soir comme une écharpe de soie à des épaules frileuses. Tout devait être aimé et jusqu’aux provinciales de l’Europe entière rencontrées dans les rues, pour la douceur de leur linge.

Je revois Cyrilla frêle dans sa cape blanche.

Les violons accompagnent le jeu des petites vagues.