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— Jamais plus, hélas, je ne pourrai revenir. Vois mes écailles, vois mes nageoires. Tu te rappelles que, en dépit des sévères principes, selon quoi nous fûmes élevées par une mère économe et collet monté, tu te rappelles que, toujours, au contraire de toi, j’ai eu le goût des jolies robes et des grands chapeaux. Cependant la coquetterie ne m’a point seule décidée à revêtir ce tea-gown aquatique. Vois mes paillettes, vois mes tulles. Ce qui de mon corps ne brille est toute transparence. Or de tout cela je ne saurai me réjouir. Je glisse et resplendis, mais cette métempsychose sera la dernière, car elle est ma condamnation au néant final. À l’aube, ce qui me reste de vie me sera dérobé, dévoré, entends-tu, mangé, mâché, avalé et cela par ma propre fille, Cynthia. Cynthia, impudique et nue dans le lit de son amant, son ventre de lait ceinturé par le bras brun de celui qui fut ton gendre, ses jambes mêlées à celles du mâle contre qui elle s’est si rageusement frottée, avant de s’endormir, Cynthia, ma fille, dont les amours n’ont point connu la bénédiction du mariage, dans son sommeil a des remords, et en ce moment même doit s’avouer qu’elle n’est qu’une grue. Une grue. Les grues, croit-elle, se nourrissent de poisson. Tu vois d’ici le danger de la métaphore des mots. Ainsi, notre