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débâcle. Elle mâche ensemble son chagrin et sa viande, et avale avec les glouglous du désespoir une nourriture arrosée de larmes, cependant que le psychiâtre-patriarche continue :

— Je sais, je sais, tu es une affective. Tu tiens de ta chère maman. Je suis le premier d’ailleurs à reconnaître qu’on serait bouleversé à moins. Le scandale n’est pas circonscrit à une capitale. Un journal de Londres publie les photos des fugitifs, et déjà, même, annonce leur mariage, alors que votre divorce n’est pas encore prononcé…

La grand-mère, qui n’a pas vu ce document, demande qu’on le lui apporte, et voilà l’enfant priée d’aller chercher le quotidien anglais, dont la première page offre, entre la photographie d’un satyre de White Chapel quelques minutes avant sa pendaison, et une mariée médiévale à l’excès qui sort de Westminster au bras d’un jeune lord impeccable et souriant, une Cynthia ruisselante de perles, si parfaite de cou et de visage, que, même en dépit de la triste matière du papier et de l’encre du journal, l’on croirait le front, les joues, les épaules, les bras polis par un soleil de bonheur, irisés d’un arc-en-ciel plus subtil que celui du triple sautoir sur la peau, la robe. Un poignet est si lourd de bracelets qu’une main, comme un oiseau mouillé