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TELS QU’EN EUX-MÊMES
TOUS LEURS PROPOS LES CHANGENT


Les exploiteurs qui tiennent les cordons de la bourse et le goulot de la bouteille à l’encre ont beau ne pas regarder à la dépense et se donner une grande peine, ils n’arrivent plus à maquiller leur magma d’incohérences et de menaces. Jamais jeune soleil de mars n’avait accusé si grande marmelade. Au magasin des fausses nouvelles et des rengaines, les histoires de maffia tombent en poussière. Des diversions s’imposeraient. Mais pas le moindre serpent de mer à l’horizon. Les vieux pneus flottent en paix à la surface des lacs d’Écosse, sans que nul ne songe à les traiter de monstres de Loch Ness. Libre à Simenon de s’en aller farfouiller dans le guano des îles Galapagos. Les déplacements en long et en large ne sauraient remédier à l’inflation du pittoresque, à la surenchère des calembredaines. C’est la faute à mademoiselle Cotillon. Elle a voulu monter une affaire de bracelet d’impératrice de cercle et elle a tout juste prouvé que le scandale avait dépassé ce stade que nous pourrions dire « du collier de la reine ».

Dorénavant, un directeur de quotidien se gardera d’appeler à la rescousse l’homme de fer de Scotland Yard qui, d’ailleurs, ne tient pas à quitter une Albion moins perfide que Paris-Soir. Et puis l’homme de fer a de quoi s’occuper sur les bords de la Tamise. N’est-ce pas bientôt le jubilé du roi d’Angleterre ? Alors, il s’agit de trouver une femme à pendre, car les réjouissances ne doivent le céder en rien à celles dont le mariage de Marina fut l’occasion. Et l’on n’a pas oublié quelle jolie petite cravate de chanvre fut passée au cou d’une mère de famille, en don de joyeux hyménée.

Le pape a précédé George V dans la jubilation. L’écran du Paramount en témoigne avec preuves vaticanes et discours du cardinal Verdier à l’appui. Qui donc reprocherait à l’Église de ne pas marcher avec le siècle, quand le successeur de saint Pierre se met à faire du cinéma ? Et dans son joli petit intérieur, s’il vous plaît. Un tel régal méritait bien d’être annoncé des jours et des jours à l’avance entre deux coups de Trois Lanciers du Bengale. Cette dernière œuvre est cornélienne. Un colonel de père et son sous-lieutenant de fils s’y affrontent. Gary Cooper met toute sa sympathique autorité d’officier colonial à empêcher un de ses collègues de fusiller un indigène. « Ne tire pas, supplie-t-il, ne tire pas. Il est à moi. » Et pan, et v’lan. L’as du sex-appeal sait viser. Il a démontré que la chasse à l’homme de couleur vaut bien la chasse au sanglier. Ce qui se fait de plus huppé dans le genre culotte de peau et jupons ecclésiastiques est donc passé des vulgaires actualités au film sensationnel. Après le Jubilaeum du pape, ce sera le Golgotha