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héros, puisqu’il n’avait pas craint de monter en ballon (et captif, s’il vous plaît) pour exécuter, entre 1914 et 1918, d’exquises peintures du front allemand et du front français. Parce que l’ère de l’indiscipline est révolue, Klee, Kokoschka et bien d’autres n’ont eu qu’à plier bagage.

Dans l’Allemagne d’avant le Troisième Reich, un tout petit bourgeois, au lieu d’acheter à sa femme un faux diamant ou un buffet Henri II, lui donnait de belles reproductions de Van Gogh. Au contraire de ceux de France les musées offraient un admirable choix de peintures contemporaines. Impossible, dès lors, de ne pas opposer des œuvres spécifiquement nationales-socialistes aux formes les plus récentes de l’expression humaine que, dans Mein Kampf, le Führer a condamnées comme produits marxistes. Et voilà pourquoi, de juin à octobre 1934, la Nouvelle Pinacothèque a été vidée et mise à la disposition des peintres et sculpteurs qui n’avaient pas été priés de faire un petit tour à l’étranger. Pour être justes, rappelons que Paris venait d’avoir son Salon des artistes anciens combattants. Réponse du berger à la bergère : à Munich il semblait plutôt que l’on eût affaire à des futurs combattants.

Dès l’entrée, la plus agressive niaiserie triomphait, sous l’aspect d’un grand saint Michel terrassant le démon qui ressemblait à saint Georges terrassant le dragon, comme un œuf pourri à un autre œuf pourri. Pas un des maîtres de l’heure qui n’eût son portrait. De face, bien entendu. Ces messieurs portent en effet sur leurs chemises brunes de jolis petits minois en pomme de terre bouillie. Par système de compensation, Mussolini travaillait du profil. Après l’assassinat de Dollfus et la mobilisation italienne au Brenner il fut sans doute décroché et prié de se reposer. Entre impérialismes complices, naissent de ces soudains conflits que la propagande par le barbouillage ne saurait prévoir, ni résoudre. Pour faire contrepoids à ces petites zizanies internationales, la réaction avait réussi son accord national malgré les polémiques de nazis à curés et de curés à nazis. De par toute la Bavière, les plus riants paysages étaient pollués de machinisme chrétien. Cet hiver, après la trahison des catholiques sur l’injonction de l’évêque de Trêves (quelque horreur que puisse inspirer toute prophétie a posteriori), il fallut bien se rappeler ces banderoles, le long des routes, qui ordonnaient aux Allemands de penser à la Sarre, sans craindre le voisinage des panneaux-réclames pour la guignolesque passion d’Oberamergau. Sur ces affiches, par un jeu d’images à donner la mort, sabre et croix se confondaient. L’instrument de supplice divinisé se faisait épée de feu, à même le ciel, au-dessus de ce pays où la superstition est entretenue aux plus basses fins commerciales et contraint les montagnards à la misérable folie de se croire Jésus, saint Jean-Baptiste, Dieu le Père, la Sainte Vierge, Marie-Madeleine et autres godelureaux et pimbêches de la même