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Du point de vue de la phénoménologie de l’esprit, il importait de réduire à la transparence ces paravents dont l’ombre propice aux vêpres introspectives abritait l’individualisme et ses chapelets de contradictions.

Quand il donne poids et corps à ses plus impondérables particularités, l’artiste affirme sa volonté d’agir sur l’univers, en riposte à l’action de l’univers sur lui. Sa pensée ne saurait se limiter aux contours, aux couleurs qui l’habillent. Elle est fonction de l’heure, du lieu, des problèmes qui les agitent. Se prétendre neutre équivaut à tolérer, donc, dans l’état présent des choses, à se faire complice des exploiteurs contre les exploités.

Dans l’antagonique et double fait de momifier ses minuscules secrets ou d’asservir ses yeux à quelque déchet de paysage, se trahit une opposition au devenir commun du monde extérieur et du monde intérieur, entre lesquels il y a non à choisir mais à établir des rapports.

Une photographie qui serait pure passivité n’est pas concevable. Décrire c’est fatalement s’exprimer entre le décrit et la description. Qui s’exprime se transforme du fait même qu’il s’exprime. L’élan de sa métamorphose le porte vers un horizon neuf. Il veut dépasser telle forêt qui ne se contente pas d’être métaphorique. De par tout le monde capitaliste, de vrais arbres en vrai bois de vraie potence répandent une ombre dont les profondeurs sont à sonder, non pour s’y perdre ou s’y complaire, mais afin d’y porter le jour. Par-delà l’obscurité patibulaire s’allume un libre soleil. Que l’imagination cependant n’aille point prétendre à l’exercice d’un pouvoir absolu. L’esprit dont elle est l’une des parties intégrantes a pour tremplin la matière. Par un bond en avant, l’hypothèse du poète aussi bien que celle du savant se proposent de rejoindre et d’éclairer la nécessité aveugle tant qu’elle n’est pas connue. Or, de nécessité aveugle en nécessité connue, de fil noir en aiguille de feu, il ne semble pas que la culture puisse atteindre jamais le terme de sa course. L’ordre, la lumière ont-ils été mis dans un paysage, celui-ci aussitôt se repeuple de points d’interrogation plus prompts à éclater que crocus à la fonte des neiges. Ici, aujourd’hui, que cette image florale ne donne point l’illusion de quelque idylle. La connaissance ne saurait aller sans combat. Depuis plus de vingt ans, la pensée, son expression dans l’art et dans la science ont été en butte à tous les coups. Que de têtes fracassées, d’yeux crevés, de membres arrachés, que d’effondrements, de livres brûlés, de tableaux condamnés, de sculptures brisées. Plus que jamais la grandeur d’une œuvre apparaît fonction du pouvoir de lutte de son auteur. Dans les remous d’un talent, d’une technique, d’un style en face de la vie que propose aux uns et aux autres l’économie d’une société, se jugent non seulement tels manieurs de plume ou de pinceau