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vement leurs ennemis ; or sur ces deux faits on ne peut élever raisonnablement aucun doute. Quoi qu’il en soit, il est extrêmement difficile de prouver que nos enfants reconnaissent instinctivement une expression quelconque. J’ai pourtant observé dans ce but mon premier-né, qui n’avait par conséquent rien pu apprendre par la société d’autres enfants, et je fus bientôt convaincu qu’il comprenait un sourire et éprouvait du plaisir à le voir ; il y répondait en souriant lui-même lorsqu’il était encore d’un âge trop tendre pour avoir rien appris par l’expérience. Lorsque cet enfant fut âgé d’environ 4 mois, je poussai en sa présence plusieurs cris étranges, je fis des grimaces et je m’efforçai de prendre un air terrible ; mais ces cris, lorsqu’ils n’étaient pas trop bruyants, ainsi que les grimaces, ne faisaient que l’amuser, ce que j’attribuais à ce qu’ils étaient précédés ou suivis de sourires. À 5 mois il parut comprendre l’intonation compatissante de la voix. Il était âgé de 6 mois et quelques jours, lorsque sa nourrice fit semblant de pleurer, et je remarquai que son visage prit immédiatement une expression mélancolique et que les coins de sa bouche se déprimèrent fortement ; cependant cet enfant n’avait pu que très rarement en voir pleurer d’autres, jamais une grande personne, et je doute qu’à un âge aussi peu avancé il fût capable de raisonnement. Il me semble donc que c’est en vertu d’un sentiment inné qu’il comprit que les larmes de sa nourrice exprimaient le chagrin, ce qui par une sympathie instinctive lui causait du chagrin à lui-même.

(L’Expression des émotions
chez l’homme et les animaux.)