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rêves pendant la nuit et gâtait toute sa journée du lendemain.

Sans avoir confiance en son fils, qu’il blâmait en toutes choses, Jonah Wood l’aimait pourtant, à sa manière, et les craintes qu’il éprouvait pour son avenir venaient mêler d’amertume les rares plaisirs qui lui restaient encore.

Il n’avait jamais compris la vie sans argent, et, puisque George ne pouvait souffrir même qu’on en parlât, il avait renoncé à fonder sur lui aucune espérance. Il gardait d’ailleurs la religion de l’autorité paternelle et ne pardonnait pas à son fils de résister à ses projets.

Pour George, le respect n’entraînait point l’annihilation de la personne, et l’obéissance ne devait point tourner au sacrifice des plus légitimes aptitudes.

Il n’avait pas délibérément choisi la carrière littéraire ; il était trop modeste pour se juger d’avance capable d’y réussir. La solitude où il vivait l’avait d’abord conduit à écrire ce qu’il sentait et pensait, seul moyen d’expression qui le garantît des critiques de son père. Puis, il s’était mis à rédiger son opinion sur quelques livres nouveaux qui lui étaient tombés sous la main. Il s’y était complu, ne pouvant s’empêcher de juger qu’il n’y avait pas trop mal réussi. Un beau jour, il s’était hasardé à offrir le dernier venu de ces essais à un directeur de journal, ensuite à un autre, à un autre encore, jusqu’à ce qu’il en eût finalement rencontré un qui, se trouvant de loisir et bien disposé, jeta un coup d’œil sur l’article.

« Votre chronique n’est pas sans valeur, répondit l’autocrate ; mais elle arrive trop tard : tout le monde a lu ces livres-là depuis des mois, avez-vous envie de gagner un peu d’argent en faisant des comptes rendus ? »