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l’humble dot de sa femme et la petite maison qu’il habitait.

Peu à peu, on en vint à lui rendre justice, mais quand il fut bien acquis qu’il était le plus honnête homme de la terre, c’était déjà un vieillard, qui n’avait plus ni le courage ni la force de recommencer la vie.

Et puis, si son honneur était lavé de tout soupçon, ne restait-il pas la bévue colossale qui l’avait perdu ? Qui désormais eût pu s’en fier à son jugement ?

Il trouva donc plus simple de vivre modestement avec son fils, dans sa petite maison, de ses deux mille dollars de revenu, loin du monde et de ses anciennes relations.

Eh bien, malgré tout, il eût vu avec plaisir que son fils rentrât dans la carrière qui lui avait été si fatale ! Mais de ce côté George était inébranlable. Ses souvenirs d’enfance restaient liés à un désastre financier, et il en garda contre tout ce qui était « affaires » une invincible répulsion. Souvent, pendant les longues soirées d’hiver, tous, deux seuls, en face l’un de l’autre, Wood revenait sur la vieille histoire de ses infortunes, reprenant tous les détails de la combinaison qui l’avait perdu. Le jeune homme montrait une patience infinie, écoutait avec un calme apparent les longues explications techniques, l’interminable kyrielle de chiffres, et l’agaçante cadence des phrases connues, toutes terminées par le mot « dollars. » Mais ces conversations lui étaient aussi pénibles que l’est le son faux d’un violon pour un musicien : elles l’énervaient et lui causaient comme une souffrance physique. Le seul mot d’ « argent » l’exaspérait, et quand, dans la soirée, il avait été question de la grande faillite, ce souvenir venait hanter ses