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qu’on avait éprouvé pour faire un choix parmi tous ces incarcérés pour opinion royaliste, le malheur voulut aussi qu’un de ces bons émigrés qui logeaient alternativement chez Mme de Gouyon de Beaufort et chez Mlle de Cicé, eût acheté une petite charrette, il y avait de cela cinq ou six mois, à la vérité ; mais on n’y regarda pas de si proche, et voilà qui fut trouvé suffisant pour établir un procès criminel contre ces honnêtes personnes que je vous ai nommées.

Pour la parfaite régularité de mon récit, je vous dirai que M. Beuzelin le gros Chanoine d’Auxerre, ne s’était pas laissé surprendre ! Il avait eu la précaution de s’habiller en femme, pour aller se réfugier à l’hôtel de Fleury (à quatre pas de chez Mme de Gouyon) ; il avait été rencontré par une patrouille, et c’était René Dupont qui l’escortait. Il nous a dit que les hommes de la patrouille en avaient eu peur.

Figurez-vous nos angoisses en voyant cette chère Mlle de Cicé, la brebis du bon Dieu, qui se trouvait aux prises avec Buonaparte et les juges de sa chambre ardente, car on n’avait pas voulu que la justice ordinaire eût à se mêler du 3 nivôse, et vous pouvez penser comment on avait composé ce tribunal d’exception ? Elle y fut admirablement bien défendue par M. Bellard, qui trouva moyen de faire pleurer toute cette populace irréligieuse et cette foule de gens sans entrailles, en leur parlant des vertus évangéliques et de la charité de sa cliente. Il amollit si bien le cœur des juges qu’elle ne fut condamnée qu’à l’exil à cent lieues de Paris. Mme de Gouyon fut renvoyée dans sa province après dix-huit mois de