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dans une maison du Prince-Évêque de Passau, pendant leur émigration.

Vous saurez que Mme de T… est une Choiseul et une précieuse. Elle est régulièrement polie, du reste, et comme elle avait reçu pendant son instance en radiation de la liste des émigrés quelque service de M. Suard, elle se croyait obligée d’aller faire une visite à la femme de cet académicien, pour ne pas se trouver en reste, et pour les dédommager très amplement de leurs bons offices. Elle avait demandé conseil à tous ses amis ; mais elle avait eu bien de la peine à s’y décider, en nous faisant observer qu’elle ne saurait que dire Mme Suard !… Mme Suard, qui venait de faire imprimer un livre d’observations sur feu M. de Voltaire, où elle disait que chacune de ses rides recelait une grâce, (ce qui constituait assurément pour M. de Voltaire un privilège unique ! ) Enfin, la dignité de Mme de T… finit par céder au sentiment de sa reconnaissance ; elle a pris un parti définitif, et la voilà dans le salon de Mme Suard avec tous les vieux restes du philosophisme et de tous les débris d’encyclopédisme et d’impiété qui survivaient au baron d’Holbach. On les aurait pris pour autant de fantômes évoqués des caves de Ferney !

Mme de T… nous a dit qu’il y avait à côté de Mme Suard un vieux philosophe qui était fourré comme un podagre et qui avait l’oreille très dure. Il entend prononcer par la maitresse de la maison le nom de Choiseul… — Oh ! je l’ai très bien connu ! se met-il à dire, à la manière des sourds, en criant comme une orfraye ; — Je l’ai très bien