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n’était si contrariant et si pénible que d’entendre cette bonne veuve invoquer le patronage et la protection de Roberspierre pour son mari, que Roberspierre avait fait guillotiner.

Mme de Valentinois était devenue folle à lier, Mme de Castellane était en démence, et M. de Lomagne idem. Mme de Saint-Julien a décidément perdu la triste raison dont elle avait tant de fois abjuré l’empire[1], et Mme de la Reynière est tombée dans un état d’ingénuité qui la rend tout-à-fait divertissante. On n’eût jamais supposé que le régime de 93 aurait opéré cette révolution-là.

– Ma foi, dit-elle en grasseyant et nasillant languissamment, c’est pas la peine de se gêner depuis cette révolution, et je dis à présent tout ce que je pense. Que je suis fâchée que la Vicomtesse de Narbonne n’ait pas été guillotinée !

– Mais pourquoi donc, Madame ? et comment pouvez-vous convenir d’une chose pareille…

— Ah, je ne demande pas mieux que de vous dire mes raisons ; c’est que, d’abord, je suis ennuyée d’entendre parler d’elle…

– Mais comme elle est environ du même âge que vous, elle aurait peut-être la même chose à vous reprocher ?

  1. Cette épigramme de l’auteur est allusive à une des chansons les plus populaires du XVIIIe siècle :

    Triste raison, j’abjure ton empire ;
    Toi seul, amour, tu peux nous rendre heureux ;
    Viens, fais passer dans le cœur de Thémire
    Toute l’ardeur dont m’enflamment ses yeux.