Sa Majesté commanda ensuyte à Monsieur Bontemps, capitaine de Versailles, de me retenir a disner, et elle me fit l’honneur de m’envoyer de ses fruicts par Monsieur de la Quintinie[1]. Le Roy ayant tesmoigné à Monsieur de Bartillat qu’il seroit bien aise que je visse jouer les eaux, dont la beauté va sans doute au-delà de tout ce que l’on peut imaginer, Sa Majesté eut la bonté d’ajouter : « Mais comme la Reyne veut les faire voir à un Seigneur de son pays, qui va prendre possession du gouvernement d’Anvers, et à sa femme, je crains qu’elle n’y aille tard, et que cela mettant Monsieur d’Andilly dans l’humidité du soir, il ne s’enrhume. »
La Reyne, en compagnie de cette grande dame espagnole, alla donc le soir voir jouer les eaux. Comme le carrosse de Monsieur Bontemps, dans lequel j’estois, ne pouvoit pas dans une si longue file arriver aussitost que Sa Majesté aux endroits où elle mettoit pied à terre, elle avoist la bonté d’envoyer un de ses pages pour me faire advancer ; et lorsqu’on fit jouer les jects de la grotte, elle me commanda de me mettre tout contre la portiesre du carrosse où elle estoit, afin que je ne fusse point mouillé.
Il faudroit un trop long discours pour vous rapporter toutes les particularités de cette journée, si extraordinaire pour un solitaire, et si longue que nous ne fusmes de retour à Paris qu’après dix heures du soir.
Je vous assure que sans vous, il n’y en auroit eu rien d’escript. Je me serois contenté d’admirer, dans ma retraite, les éminentes qualités du Roy, que je n’aurois pu croire si grandes que je les ay reconnues, quoi que la renommée m’en ait rapporté, et quoi que mon fils m’en ait pu dire ; je vous advoue qu’elles m’ont touché de telle sorte que, quelque extraordinaire que soit le bienfaict dont il a honoré mon fils, j’estime infiniment plus tant de circonstances obligeantes dont il lui a plu de l’accompagner. Oserai-je adjouster que, depuis mon retour, la satisfaction que Sa Majesté a bien voulu tesmoigner avoir eue de moy, ne cède aulcunement à tout le reste ?
- ↑ Directeur général des jardins, vergers, fruitiers et passagers des maisons royales. Il a laissé un livre utile et for agréable pour la grâce du style et pour sa naïveté. (Note de Mme de Créquy).