La suite du discours me fit dire à Sa Majesté, cela étant venu à propos, que je me plaignais de ce qu’entre tant de justes louanges qu’on lui donnoit, il y en avoit une sur laquelle on n’appuyoit point assez, qui estoit à l’égard des duels. Le Roy me répondict simplement : « On m’en loue beaucoup ; » et je luy repartis : Ouy, Sire, on vous en peut louer, mais non pas, ce me semble, autant que le mérite une aussy grande grâce que Dieu vous a faite d’arrester ce torrent de sang qui entraisnoit dans l’abysme une si notable partie de vostre noblesse ; à quoy il a ajousté une autre grâce dont Vostre Majesté ne sauroit aussy trop le remercier, quy est d’avoir donné la paix à l’Église, Sire, étant le royaume de Jésus-Christ, c’est une beaucoup plus grande gloire à Vostre Majesté de l’avoir pacifiée que si elle avoist donné des loix à tout l’univers. » Ce que Sa Majesté me témoigna chrestiennement et fort humblement recevoir.
Elle me dict qu’aussitost que j’étois entré, elle m’avoist reconnu. Je respondis au Roy que je ne pouvois assez m’en étonner, puisqu’il y avoit vingt-huit ans que je n’avois eu l’honneur de le voir, depuis que la Reyne, sa mère, le tenant par la main dans la galerie du Palais Royal, j’avais eu l’honneur de parler pendant fort long-temps à cette grande princesse. Sur quoy le Roy me dict avec un air de bonté profonde, et plusieurs aultres fois encore durant cet entretien : « La Reyne ma mère vous aimoit beaucoup. »
Sur ce qu’après je dis ces paroles a Sa Majesté : « Tout ce que je puis faire en l’aage où je suis, Sire, pour reconnaitre les obligations dont mon fils et moi vous sommes redevables, c’est de continuer, dans ma solitude, à souhaiter qu’en suite de tant d’actions qui doivent éterniser la mémoire de Vostre Majesté, Dieu porte ses jours si advant dans le siècle à venir, qu’il n’y ait pas moins de sujet d’admirer la durée que la gloire de son règne. Sa Majesté me respondict : « Vous me voulez, trop de biens. »
Apres je la suppliay de me dire si elle me permettoit d’user de la mesme liberté avec laquelle le Roy, son père, et la Reyne, sa mère, avaient toujours eu pour agréable que je leur parlasse. Elle me répondict à cela d’une manière si obligeante, que je ne craignis point de luy dire : « Sire, pour ce quy regarde mon fils, Vostre Majesté l’a tellement comblé de ses bienfaicts, qu’il