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À quoy je respondis dans les termes les plus respectueux pour luy témoigner une juste reconnoissance, je dis entre aultres choses, que d’aultres princes pouvoient donner de grandes charges, mais que les donner d’une maniesre qui les relevoist encore infiniment au-dessus de ce qu’elles estoient par elles même estoit une gloyre qui luy estoit réservée, et dont nulles paroles ne pouvoient exprimer combien j’estois touché ; que j’osois assurer Sa Majesté, qu’outre la fidélité et la passion pour son service, quy étoient et devoient estre héréditaires en mon fils, j’espérois que Dieu lui feroit la grâce de la servir avec tant d’application et de détachement de son intérest propre, qu’elle n’auroit point de regret à l’avoir comblé de ses faveurs. Sa Majesté me dict : « Vous oubliez à parler de sa capacité, tout le monde me félicite et me remercie du choix que j’ay faict de luy. » La suite m’engagea à dire sans affectation que le feu Roy son père m’avoit fait l’honneur de me faire offrir à Béziers, en 1622, la charge de secrettaire d’état vacant par la mort de Monsieur de Sceaux, en donnant quatre yingt mille écus de récompense à ses héritiers, et que je n’avoys pas été assez hardy pour les donner. Sa Majesté me respondit : « Il en coustera davantage à vostre fils, mais cela ne durera guère, et je le sauray tirer d’embarras… »

Le Roy me dict ensuite beaucoup de bien de mon fils, er il termina par ces propres paroles « Quand vous n’auriez nul aultre contentement et aultres satisfactions que d’avoir un tel fils, vous devriez vous estimer très heureux ; et comme il faut commencer par bien servir Dieu, pour bien servir son Roy, je ne doubte point qu’il ne satisfasse à tous ses devoirs[1] »

Sa Majesté me dict ensuite, d’une maniesre dont je ne saurois assez bien exprimer la grâce et la délicatesse : « Au reste, j’ai un avis à vous donner qui vous est important, car il regarde vostre conscience, et je crois qu’il pourroit mesme y avoir sujet de vous confesser, c’est que vous avez marqué dans la préface de l’histoire de Josephe que vous aviez quatre-vingts ans, et je doubte que l’on puisse, sans vanité, méritrer que l’on soit capable de faire à cet aage un si grand et si bel ouvrage ? »

  1. Allusion au jansénisme de toute la famille Arnauld. (Note de Mme de Créquy).